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Le spinelle

Une fois n’est pas coutume, Galerie Pénélope s’éloigne des pierres de naissance afin de parfaire vos connaissances en gemmologie et histoire du bijou avec le spinelle.

 

Pendentif ancien Moghol Jade et Or

 

En dépit de son utilisation fréquente dans la bijouterie indienne – la gemme était notamment prisée par les empereurs Moghols (XVIe-XIXe siècles), elle est globalement rare dans la joaillerie européenne. On en trouve quelques exemples sur les bijoux du XVIIIe et XIXe siècle, les couleurs majoritairement utilisées étant alors le rouge, le bleu (appelé gahnospinelle), le violet et l’incolore. Si on le croise parmi les collections de pierreries des différentes Cours, c’est souvent dans sa teinte groseille, car le spinelle fut longtemps mépris pour une variété de rubis.

Il faudra attendre 1783, lorsque le français Jean-Baptiste Louis Romé de l’Isle découvre que le spinelle est une espèce minérale à part entière, pour que les trésors des familles royales soient regardés d’un nouvel œil.

 


Stefano Torelli, Coronation Portrait of Catherine II, 1763-1766, Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage.

 

L’un des spinelles les plus célèbres est celui ornant la couronne de Catherine II de Russie.  Acquis en Chine en 1676 dans le cadre d’échanges commerciaux, il est l’une des sept pierres historiques de la collection de joyaux réunie par Pierre le Grand. Tandis que, lui ayant ravi le trône, Catherine II succéda à son mari ; elle fit confectionner le bijou de tête de son couronnement par les joailliers Posier et Eckart. Le spinelle de près de 400 carats fut ainsi serti sur la couronne de la future impératrice, accompagné de près de 5000 diamants et 74 perles. Le bijou de tête fut par la suite portée par tous les tsars jusqu’à Nicolas II, proclamé empereur en 1896.

Le saviez-vous ? Encore considéré comme un joyau de la Couronne, Il est interdit de sortir ledit bijou de tête du Kremlin, sauf en cas de force majeur et sur ordre personnel du Président russe. Autant dire que pour voir la couronne, il faudra sans nul doute se contenter de sa réplique… et encore.

 

Caractéristiques du spinelle

 

L’étymologie du nom « spinelle » reste incertaine : elle pourrait provenir du latin « spinella » qui veut dire « petite épine » et ferait référence à la forme octaédrique de ses cristaux, ou bien du grec « spinther », « étincelle ».

Le spinelle est un Oxyde d’Aluminium et de Magnésium, dont la dureté est évaluée à 8 sur l’échelle de Mohs. Rappelons au passage que lorsqu’on parle de la « dureté » d’un minéral, il s’agit de sa capacité à en rayer un autre, et non de sa résistance aux chocs. Si vous voulez en savoir un peu plus sur ce sujet, on évoque l’échelle de Mohs dans notre article sur les tailles du diamant. Et quand vous en serez à vouloir l’apprendre par cœur, voici un moyen mnémotechnique amusant : Ton Gigolo Conte Fleurette A (H)Ortense, Qui Te Cocufie Diablement ! (Talc/ Gypse/ Calcite/ Fluorite/ Apatite/ Orthose/ Quartz/ Topaze/ Corindon/ Diamant) And for our English speakers : Tall Girls Can Flirt And Other Queer Things Can Do ! 😉

Notre spinelle est donc aussi résistant aux rayures que les corindons. Ne serait-ce pas un premier point commun avec le rubis ? Car souvenez-vous, le rubis est un corindon au même titre que le saphir. Ce dernier existe dans quasiment toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, à l’exception du rouge, puisqu’un corindon rouge est un rubis. On vous a perdu-e-s ? Rendez-vous à Ruby land, terre de la pierre de naissance de juillet !

 

Spinelle bleu, 2,27 Cts, Ovale

 

Mais retournons à nos spinelles, il ne faudrait pas que les rubis continuent de leur voler la vedette. L’un des intérêts de la gemme est qu’elle est peu ou pas traitée (contrairement, par exemple, à la topaze dont la teinte bleue est obtenue par irradiation), et existe dans un large spectre de couleurs. Certaines portent des noms spécifiques, comme le gahnospinelle bleu évoqué plus haut, ainsi que le pléonaste, au coloris vert sombre à noir.

De façon générale, on trouve assez peu de pierres de grande taille. Plus rare encore, il existe des spinelles étoilés (4 à 6 branches)… encore un trait commun avec les rubis !

En fait, les spinelles se rencontrent en gisement alluvionnaires en compagnie des corindons, ce qui peut expliquer la confusion entre spinelles rouges et rubis. De surcroît, les deux gemmes cristallisent souvent dans les marbres et tirent leur teinte de l’oxyde de chrome.

Parmi les principales provenances du spinelle, on peut citer : le Myanmar, le Sri Lanka, Madagascar et enfin le Tadjikistan.

 

Vous avez dit « escarboucle » ?

 

Si l’amalgame avec le rubis est commun, le spinelle rouge peut aussi être confondu avec les grenats almandin et pyrope. D’autant qu’avant le développement de la gemmologie, toute pierre rouge brillante était nommée « escarboucle », du latin « carbunculus » signifiant « petite braise ». La couleur étant à l’époque une caractéristique clé dans la différenciation des gemmes. Souvenez-vous : au départ, on pensait que toutes les topazes étaient jaunes, et que toutes les pierres jaunes étaient des topazes.

On rencontre parfois les spinelles sous les appellations fallacieuses de « rubis balais » ou « rubis balay », ou encore « rubis spinelle ». Une désignation mensongère qui entretient la confusion.

Pas mal de spinelles rouges, qu’on pensait être des rubis, se trouvent ainsi dans les collections de joyaux des Couronnes européennes.

 

Bague Marguerite Spinelle Rouge entourage Diamants

 

Le spinelle en fait de rubis le plus célèbre est sans nul doute le « rubis du Prince Noir », serti sur la Couronne d’Angleterre. Comme l’opale, on pense parfois que la pierre porte malheur… La monarchie britannique a pourtant l’air de plutôt bien se porter, avec le power couple William-Kate prêt à prendre la relève d’un Charles qui profite à fond de son trône (il l’a attendu 70 ans, on ne peut pas vraiment lui en vouloir).

Notre spinelle aurait été offert par Pierre le Cruel à Edouard de Woodstock, fils du roi d’Angleterre Edouard III, surnommé « le Prince Noir » de manière posthume – on ne sait pas trop si son surnom lui vient de son armure de couleur noire ou de ses faits d’armes. Le faux rubis aurait été arraché par Pierre le Cruel lui-même au Sultan de Grenade en 1371. Serti sur la couronne d’Angleterre au XVe siècle, il faudra attendre les années 1850 pour découvrir le pot-aux-roses : le « rubis du Prince Noir »… est donc un spinelle. Shocking ! Et surtout, ça n’est pas le seul dans la collection de joyaux de la famille royale britannique : le « rubis Timur » de plus de 350 carats est lui aussi un spinelle.

L’un des joyaux de la Couronne de France, le « Côte de Bretagne », n’échappe pas à la règle du spinelle en fait de rubis. Nous aurons l’occasion de revenir dessus dans la dernière partie de notre article, en tout cas vous l’aurez compris, pas de quoi fanfaronner devant nos amis d’Outre-Manche !

D’ailleurs, savez-vous quel Anglais parada devant François Ier avec son collier de « rubis » ?

 

 


Henri VIII : spinelles et manspreading

 

D’après Holbein le Jeune, Portrait d’Henri VIII, 1540-1547, copie tardive attribuée à Hans Eworth (original perdu).

 

Cette fois, on ne vous la fait plus : le grand collier de « rubis » d’Henri VIII serait lui aussi serti de spinelles.

Celui que l’on surnomme parfois « Barbe-bleue » en raison du destin sulfureux de ses six épouses, est l’héritier d’une couronne pas tout-à-fait obtenue à la régulière (son père, Henri VII, s’étant assuré que le dernier héritier mâle des Plantagenêt ne pourrait réclamer son accès légitime au trône).

Il fallait donc à Henri VIII un moyen de façonner son image de roi et asseoir son pouvoir, et pour cela, il utilisa notamment l’apparence. Plumes, manteau en argent, tissus précieux, rien n’était trop beau pour exprimer la magnificence du roi. Et les bijoux n’étaient pas en reste : « Soucieux d’esbroufer François Ier lors de leur première rencontre, [Henri VIII] flamboie, rutile, étincelle », paré notamment d’un « indécent collier de joyaux » peut-on lire dans l’ouvrage Sapé comme jadis d’Yvane Jacob. Tiens, mais ne s’agirait-il pas du fameux collier de spinelles-rubis, représenté sur le portrait du roi par Holbein le Jeune ?

Au XVIIe siècle, les rubis étaient très prisés. Par sa couleur rouge, associée au feu et au sang, la pierre précieuse symbolise la passion et le courage. Il n’est donc pas anodin qu’Henri VIII ait choisi la gemme pour orner son fabuleux collier, exprimant son pouvoir autant que sa richesse. Sans savoir évidemment qu’en fait de rubis, il s’agissait de spinelles.

Un autre élément du costume du monarque participe à la démonstration de sa puissance : sa braguette. Aka le manspreading, version Renaissance.

 

Ecole de Ferrare, Les fiançailles, 1470, Berlin, Gemäldegalerie.

 

Si en principe Galerie Pénélope préfère se concentrer sur les bijoux en or que sur les bijoux de famille, on avoue qu’on a eu envie d’en savoir plus sur cette étonnante braguette… en ouvrant nos livres d’histoire de la mode ! Jusqu’au milieu du XIVe siècle, hommes et femmes étaient indifféremment vêtus de tuniques amples, comme dans le tableau des fiançailles présenté ci-dessus. Le costume masculin évolua avec la guerre de Cent ans, à l’exception des milieux ecclésiastiques et universitaire. Chausses (une sorte de collant opaque) et pourpoint , ou gipon, conférant alors aux hommes davantage de mobilité. Ce dernier, de plus en plus court au fil des ans, finit par révéler l’ouverture des chausses moulant les parties intimes. Il fallut donc trouver un élément de costume pour les dissimu… mais quelle idée !

A partir du XVIe siècle, en avant toute ! Symbole de conquête et de virilité, la braguette était composée de plusieurs couches de tissu, rembourrée et fermée par une lanière. De surcroît, elle était parfois surmontée d’un coquet orné de rubans et /ou de bijoux. Dans un contexte d’émulation qu’on n’a aucune peine à imaginer et dénoncée par Montaigne qui parle de « ridicule pièce » qui « accroît leur grandeur naturelle par fausseté et imposture » dans ses Essais. D’ailleurs en anglais, « to brag » veut dire « se vanter ». Coïncidence ? On vous laisse méditer sur le sujet ! La braguette pouvait aussi servir de porte-monnaie, d’espace de rangement pour des mouchoirs, missives et autres petits objets. Vous le saviez ?

Avec la réforme protestante, la braguette se fit de moins en moins présente et finit par disparaître totalement à partir du XVIIIe, au profit du pantalon à pont.

 

Le Côte de Bretagne, joyau de la Couronne de France

 

Assez parlé des Anglais, en France aussi ; nous avons eu notre lot de spinelles parmi les joyaux de la Couronne. Tout d’abord, que diriez-vous d’un rapide vernis sur le sujet ?

 

D’après Jean et François Clouet, Portrait de François Ier, roi de France (1515-1547), XVIIe siècle, Chambord, Domaine national.

 

C’est à François Ier que l’on doit la constitution des « Diamants de la Couronne ». Sans vouloir faire preuve d’un esprit mal placé, remarquez qu’il porte lui aussi une braguette sur le tableau d’après Jean et François Clouet. Grâce à Galerie Pénélope, vous ne verrez plus les portraits masculins de la Renaissance du même œil !

Le roi de France décida donc, en 1530, de fonder officiellement l’institution des Diamants de la Couronne en sélectionnant dans les possessions royales, acquises par ses prédécesseurs depuis le Moyen-Âge, huit bijoux constituant la base de la collection. Pour rappel, le rubis était alors très en faveur. Ca n’est donc pas moins de trois spinelles, en fait de rubis, qui rejoignirent le lot : l’ « Œuf de Naples », la « Fève de Naples » et enfin le « Côte de Bretagne », sur lequel nous allons nous attarder davantage.

Le saviez-vous ? Le spinelle, retaillé sous Louis XV, est aujourd’hui visible au Musée du Louvre à Paris. La Galerie d’Apollon rassemble en effet une partie de ce qu’il reste des Joyaux de la Couronne de France.

François Ier hérita du « Côte de Bretagne » au décès de sa première épouse Claude de France, qui le tenait de sa mère Anne de Bretagne. La grand-mère de Claude, Marguerite de Foix, est la propriétaire de la gemme la plus ancienne connue à ce jour.

Le spinelle est à l’époque, en 1530, monté en « bague à pendre », ou « cottoire ». Presque trente ans plus tard, à l’occasion de l’avènement de François II (1559), une nouvelle monture, un triangle orné de perles est fabriquée pour la gemme.

 

Gouaché de la Toison d’Or, 2008.

 

Les trois spinelles de la Couronne seront retaillés sous Louis XV. Le « Côte de Bretagne » est alors choisi pour orner l’insigne de l’ordre de la Toison d’Or, commandée en 1749 au joaillier Jacquemin. La gemme est ainsi retaillée en forme de dragon par Jacques Gray. Elle ne nous est malheureusement pas parvenue entièrement, puisqu’à l’origine les ailes et la queue de la créature légendaire étaient parés de diamants. De la gueule du dragon pendait le diamant bleu de Louis XIV, auquel était suspendue la toison d’or. Un diamant bleu… cela vous dit quelque chose ? Bien vu, on vous conte sa tumultueuse épopée jusqu’au Smithsonian Institute de Washington dans notre journal. Un second diamant, de 32 carats, ainsi que 2 topazes et 84 brillants peints en rouge complétaient l’ensemble.

Le bijou fut volé et dépecé en 1792, durant la révolution française. Au demeurant, il en existe désormais une réplique dans la Galerie de Géologie et Minéralogie du Muséum National d’Histoire Naturelle (Paris).

Après moult péripéties, la proclamation de la troisième République sonna le glas des Diamants de la Couronne de France. Le 11 janvier 1887 fut promulguée la loi d’aliénation de ces derniers, ayant pour conséquence de « faire sortir un bien ou un droit du patrimoine de celui qui en est l’actuel propriétaire ou l’actuel titulaire » (Dictionnaire juridique). En résulta, du 12 au 23 mai 1887 au Louvre, un « vide-grenier patrimonial » visant à « se débarrasser des souvenirs de la monarchie française » ([Dir]. Guillaume Glorieux, Idées reçues sur le bijou), dans lequel les Diamants de la Couronne s’envolèrent aux quatre vents. A quelques exceptions près néanmoins : une poignée de pièces furent exclues de la vente aux enchères et réparties entre le Musée du Louvre, le Muséum d’Histoire Naturelle et l’Ecole des Mines.

 

Bague Marguerite Spinelle entourage Diamants

 

Le spinelle est donc reconnu comme une gemme à part entière depuis la fin du XVIIIe siècle seulement. Et quelque part, on se réjouit qu’il fut mépris pour un rubis jusqu’alors, puisque c’est sans doute grâce à cela qu’il fait désormais partie intégrante des collections patrimoniales européennes.

Cela n’enlève rien à ses qualités intrinsèques, d’ailleurs la pierre est aujourd’hui très prisée en joaillerie. On promet donc que vous n’avez pas fini d’en entendre parler, ainsi, vous pourrez glisser l’air de rien l’une de nos anecdotes à votre auditoire. Et pour nonchalamment provoquer la conversation… notre bague ci-dessus est toujours disponible. Mais ne tardez pas trop, comme tous les bijoux anciens chinés par Camille, elle est aussi rare qu’unique !

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