Bracelet en cuir, lourdes chaînes en or ou chevalière imposante, les hommes ont-ils toujours porté des bijoux différents de ceux des femmes ? Que nous dit l’Histoire du port de bijoux par les hommes ?
Le port du bijou à visée spirituelle
Les premiers bijoux pour hommes, datés de plusieurs dizaines de milliers d’années, semblent avoir eu avant tout une visée symbolique et protectrice. Ils permettaient de s’attirer les faveurs des divinités, d’éloigner les mauvais esprits, ou encore de se protéger au combat.
C’est aussi le cas des médailles religieuses, que Frédéric Caille, maître de conférences en science politique à l’Université Savoie Mont Blanc, et auteur de « Des bijoux d'hommes ? Usages et port des décorations dans la sexualisation des rôles sociaux et politiques au XIXe siècle » (Corps et Objet, Editions Le Manuscrit, 2004), ne considère pas toujours comme des bijoux.
Médaille de la Vierge en or rose
« La médaille protectrice devient bijou dès lors qu’elle est visible et d’une certaine facture. Mais elle ne comporte pas l’élément séducteur et esthétique que l’on trouve généralement dans le bijou. » Les évêques portaient également des ornements religieux, comme l’anneau épiscopal, massif, en or ou argent, et généralement serti d’une pierre, améthyste, saphir ou émeraude.
Le statut social à travers le bijou
Outre les bagues d’évêque, le Moyen Âge a également vu les hommes de l’aristocratie porter des chevalières arborant les armoiries de leur famille. Ce bijou était un signe ostentatoire de leur statut social, mais il leur permettait également de pouvoir cacheter la cire chauffée afin de sceller leurs lettres.
Pendant la Renaissance, les aristocrates étaient friands de colliers de perles. Ils permettaient aux hommes qui les portaient de montrer leur position sociale, tout en étant à la pointe de la mode. Emprunts d’une certaine fluidité, ils portaient également des bagues, des bijoux de chapeau, des camées, ou encore des pendentifs.
Michiel J. van Miereveld, George Villiers, Duc de Buckingham, 1625-1626
Les hommes arboraient aussi des bijoux de ceinture, par exemple des pommes de senteur, en métal délicatement sculpté. Ces objets s’ouvraient, et chaque compartiment – semblable à un quartier d’orange –, contenait des pâtes ou des poudres odorantes, à base d’ambre, de musc, ou encore de cannelle. Cela permettait de se parfumer, mais aussi de se protéger de certaines maladies.
Jakob Cornelisz van Oostzanen, Portrait d'un homme, Circa 1518
Louis XIV était, lui, un grand adepte des diamants. Il s’en offrait un par an, et les intégrait à ses vêtements : à la boutonnière, sur un chapeau, sur son épée, ou sur ses souliers. Lors de chaque apparition publique, il exposait ses bijoux, allant parfois jusqu’à porter plus d’un kilo de diamants sur lui. Il aurait même commandé un habit intégralement cousu de diamants blancs pour impressionner l’ambassadeur de Turquie.
Aux ambassadeurs étrangers, justement, ou à d’autres personnalités dignes d’être récompensées, le roi offrait des portraits miniatures de sa personne, entourés de diamants, à porter en pendentif. Outre cette gemme précieuse, son règne a vu aussi la citrine devenir une pierre prisée, portée par les hommes sur des bagues ou des montres. Cette pierre à l’éclat chaud et solaire symbolisait parfaitement le Roi Soleil.
Boîte à portrait de Louis XIV, Petitot, Jean, dit le Vieux, vers 1670 / © RMN - Grand Palais (Musée du Louvre) / Jean-Gilles Berizzi.
Après la Révolution française, puis davantage encore avec la révolution industrielle, les bijoux sont devenus trop futiles pour les hommes. « Au XIXème siècle, certains hommes de la classe moyenne urbaine mettaient des breloques à la chaîne de leur montre, des croix, des médailles, des pendentifs différents reproduisant des petites décorations. » rappelle toutefois Frédéric Caille. Ces petits bijoux pouvaient avoir une visée protectrice mais aussi symbolique, les décorations étant signe de pouvoir.
La décoration honorifique comme bijou
Le maître de conférences a remarqué, au cours de ses recherches, une accentuation du dimorphisme sexuel au XIXème siècle, une affirmation de la masculinisation. « L’identité genrée est alors devenue le fondement même du pouvoir masculin blanc. Les femmes étaient limitées à des rôles sexuels et maternels très stricts. Les hommes s’habillaient en noir, l’habit masculin est devenu plus strict, tandis que les femmes avaient des atours, des dentelles, portaient de belles robes, elles étaient cantonnées à être des objets de beauté et de désir. » Le port des bijoux, à cette époque, suivait également cette logique, et les hommes en portaient peu.
Édouard Manet, Le Balcon, 1868-1869
Mais il existait toutefois une exception : les décorations honorifiques. Entre 1865 et 1930 environ, ces ornements masculins étaient presque obligatoires dans certains milieux, afin de montrer son pouvoir et son influence. « Cela a abouti à une course aux décorations, surtout avant la Première Guerre mondiale. » remarque Frédéric Caille. « Des hommes portaient de fausses décorations, de faux rubans, et l’Etat tentait d’ailleurs d’y mettre un terme. » Ces décorations honorifiques allaient alors dans le sens d’une sexualisation des rôles sociaux et politiques, mais étaient également un instrument de séduction.
Légion d'honneur or et diamants
De nos jours, porter l’insigne de la Légion d'honneur est moins un marqueur de position sociale qu’il n’a pu l’être par le passé. Mais il en garde une certaine notabilité, en particulier dans les milieux gouvernementaux. C’est un bijou à signification politique, qui peut être véritablement décliné sous la forme d’un bijou plus qu’une décoration, si la personne décorée le souhaite.
Les bijoux pour hommes au XXème siècle
À partir des années 1950-1960, certains hommes portaient des gourmettes de baptême épaisses en argent, à gros maillons. Leur prénom était généralement gravé dessus. La boucle d’oreille, portée d’un seul côté entre le XVIème et le XVIIème siècle, notamment par les marins et les corsaires, a également eu son heure de gloire à la fin du XXème siècle. C’était parfois un signe d’appartenance à une communauté, punk ou gay par exemple. « Dans les années 1980, si on la portait à droite, cela voulait dire « je suis homosexuel ». Puis des chanteurs comme Bernard Lavilliers l’ont popularisé. »
'H' monogrammist, Sir Walter Ralegh, 1588
Punks, rockeurs, gothiques et rappeurs se sont en effet réappropriés le bijou pour homme, en arborant de grosses bagues en or, des chaînes épaisses, ou des bagues tête de mort. Les piercings au visage chez les hommes ont aussi connu leur heure de gloire à la toute fin du XXème siècle. Ils étaient parfois associés aux adeptes de free party ou de musique techno.
Une relation plus fluide au bijou aujourd’hui
On retrouve aujourd’hui une certaine fluidité entre les bijoux masculins et féminins. « Il y a quelques décennies, qu’un homme porte des bijoux féminins était une transgression, souvent une revendication d’appartenance à la communauté homosexuelle. Dans la jeune génération actuelle, cette transgression est largement tombée, notamment avec la non-binarité de genre. Beaucoup de vingtenaires portent des bijoux, sans qu’il ne s’agisse spécifiquement de bijoux masculins ou féminins. » expose Frédéric Caille.
Si pour les hommes évoluant dans les sphères de pouvoir, les cravates ont remplacé les colliers de perles, ils se laissent toutefois parfois aller, eux aussi, à une petite fantaisie, en portant un bracelet fait de perles en bois, par exemple, rapporté d’un voyage à l’étranger.
Chevalière or, émail, et diamant
Les bagues pour hommes reviennent également sur le devant de la scène. « Aujourd’hui, il y a ceux qui assument porter de nombreuses bagues, ceux qui portent comme seul bijou une bague de défense, comme un poing américain, et il y a bien sûr les alliances. Ces anneaux sont un élément de sérieux et de normalité, un ornement esthétique tout en pouvant être religieux, et c’est parfois même un élément de séduction. Les chevalières sont en train de revenir également. »
Dans les milieux branchés et artistiques, les hommes portent tout types de bijoux. Mais le plus symbolique reste le collier de perles. A$AP Rocky et Harry Styles se sont réappropriés cet accessoire féminin et bourgeois traditionnel dès 2019, n’hésitant pas à l’associer à des vêtements sportswear. Cette tendance a depuis été adoptée par bon nombre de vingtenaires, Timothée Chalamet en tête.
En plus de colliers de perles, l’acteur n’hésite pas à exposer ses broches de chez Cartier, pour qui il est ambassadeur de marque. Ensemble, ils ont même créé un collier inspiré de Dune. Mais Timothée Chalamet aime aussi arborer des bijoux anciens sur les tapis rouges.
Car le port de bijoux vintage devient une coquetterie que les jeunes hommes s’accordent volontiers. C’est l’occasion de ressortir les rangs de perles de sa grand-mère, en désembourgeoiseant au passage ce bijou. Chevalières, camées anciens, broches, ou perles aux oreilles font désormais partie de ces bijoux antiques prisés par les hommes.
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