Le blanc est intéressant à plusieurs égards et on compte bien lui rendre sa légitimité, au moins sur un point : il s’agit d’une couleur. Tout d’abord, si vous avez lu notre article Rougir de plaisir vous savez que le système colorimétrique de l’Antiquité reposait sur trois teintes de base : blanc, rouge, noir. Par ailleurs, les supports d’écriture ou de dessin « plus blancs que blancs » sont une notion assez récente. Pensez par exemple aux parois grises des grottes préhistoriques ou aux parchemins bisque qui nécessitaient l’emploi du blanc, le transformant en pigment à part entière. En fait, couleur ne pouvant être obtenue par mélange, le blanc est presque avec le rouge, le bleu et le jaune la 4e couleur primaire du peintre. Le noir lui s’obtient en mélangeant les trois coloris précités.
Disgrâce infâme
Bague ancienne or rose calcédoine bleu-gris adularescente et perles
Ce décri semble issu de la découverte de la décomposition de la lumière blanche par Newton au XVIIe siècle. Des ultraviolets aux infrarouges, le spectre lumineux contient toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Le blanc, dès lors qu’il regroupe tous les coloris perd sa propre étiquette. L’ouvrage de Michel Pastoureau et Dominique Simonnet Les couleurs expliquées en images propose une jolie métaphore de la vie comme un parcours à travers les couleurs, du blanc au blanc : de la lumière blanche du Big Bang à celle au bout du tunnel. Et la boucle est bouclée !
L’autre fait passionnant à propos du blanc est que globalement, il n’est plus jamais associé à des connotations négatives. On peut certes penser à deux ou trois choses pas particulièrement réjouissantes : l’hôpital, l’absence pour ce qui concerne le vocabulaire (avoir un blanc, faire une nuit blanche, voter blanc, etc.), les spectres – quel enfant n’a pas frémi de croiser la Dame Blanche la nuit au bord d’une route ? Ou enfin aux sectes dont les membres sont souvent vêtus de blanc en référence à la notion de pureté de la couleur.
Par ailleurs, c’est l’une des rares sinon la seule couleur pour laquelle la symbolique semble éternelle. On ne peut pas en dire autant du vert, mais pour le savoir, avez-vous lu Cinquante nuances de vert ?
Bague Pompadour opale entourage diamants
Un diamant d’innocence
Le blanc est implicitement et universellement associé à la pureté depuis très longtemps. Dans l’article Contes violets, on vous parle des bijoux de suffragettes violets, blancs et verts ; le blanc représentant « l’honorabilité ». Cet accord remonte à la Rome antique où les candidats aux élections s’habillaient en blanc. C’est d’ailleurs de cette coutume que leur vient leur nom, puisque candidus signifie « blanc » en latin. Le mot « blanc » lui a des racines germanophones : il provient de blank qui fait référence au blanc brillant, en opposition au blanc mat. En français on n’a pas du tout cette distinction, mais saviez-vous que les esquimaux n’ont pas moins de 40 mots pour désigner la neige ?
Pendentif vintage or rose et agate denditrique
La neige justement renforce ce symbole de vertu : toujours d’après Pastoureau, aucune autre couleur n’est aussi unie dans la nature. En peinture, on observe en revanche une large palette de blancs teintés. En témoigne ce tableau de Whistler, Symphonie en blanc, n°1, se disputant avec Carré blanc sur fond blanc de Kasimir Malevitch de 1918 la place de premier monochrome de l’Histoire de l’Art.
James McNeill Whistler, Symphony in White, No. 1: The White Girl, National Gallery, Washington, 1862
La perle est elle aussi louée pour sa pureté. Contrairement aux pierres précieuses et fines, elle ne nécessite aucune intervention humaine pour révéler sa beauté. Les perles ont été relativement dévaluées depuis les années 1920 avec l’apparition sur le marché des perles de culture, mais auparavant elles étaient aussi rares, sinon plus, que le diamant par exemple et constituaient un réel symbole de richesse.
Collier coeur Belle Epoque, perles fines et diamants
Dans l’Antiquité grecque, les perles étaient appelées « larmes d’Aphrodite » et on les pensait issues de la fécondation d’une huître avec une goutte de rosée. Symbole d’eau et lunaire, la perle est attribuée au féminin et à la fécondité ; peut-être aussi à cause de la forme vulvaire des huitres. D’ailleurs, les petites perles se nomment « perles de semence » (celle de la goutte de rosée – on précise, même si évidemment personne ici n’a l’esprit mal tourné). On trouve en tout cas une analogie entre la pureté de la perle et la chasteté des jeunes filles. Au surplus, il était historiquement de coutume d’offrir aux petites filles une perle à chacun de leurs anniversaires jusqu’à ce qu’un collier puisse être constitué. A peu près simultanément à leur âge de convoler ! Coïncidence ?
Église et mariage
Dans un système manichéen séparant sans nuance le bien du mal, ce dernier est noir tandis que le bien est blanc.
Le blanc est associé à la spiritualité et à la sainteté, à commencer par la mythologie. Zeus rusant de travestissements variés pour approcher ses proies se transforme notamment en taureau blanc aux cornes d’or pour enlever Europe, ou encore en cygne pour séduire Léda. Même si on aurait fort à dire sur les manières du pervers superstar de l’Olympe, on remarque que le blanc est lié au divin depuis la nuit des temps.
Peigne à cheveux ancien, diadème en argent
Une équation reprise par l’Église : le Pape n’est-il pas vêtu de blanc ? D’ailleurs, dans la hiérarchie catholique, plus le rang est élevé puis l’habit est de couleur claire, des prêtres habillés en noir au Pape mis de blanc. On a d’autres exemples : la lumière blanche représentant Dieu, l’hostie, Jésus ressuscité portant une tunique blanche, la colombe du Saint-Esprit. Tiens, connaissez-vous le bijou éponyme ? Si non, on vous recommande de lire notre article sur les bijoux religieux. Et puis, à partir de 1854 et la doctrine de l’Immaculée Conception le blanc devient avec le bleu la seconde couleur de la Vierge. Le lys blanc, symbole de pureté depuis l’Antiquité est également lié à Marie dès lors, et l’histoire est si adorable qu’on vous la partage. Outre la symbolique d’innocence, le bourgeon du lys de forme phallique, s’ouvre en trompette. Or, il se murmure que la Vierge fut enceinte par l’oreille – à savoir en entendant la parole de Dieu.
Médaille Art Déco Vierge sur nacre, or et perles fines
Les grandes étapes de la vie du catholique sont enfin jalonnées de blanc : le baptême, la communion, éventuellement le mariage. C’est ce dernier qui nous intéresse : à la fin du XVIIIe siècle, les valeurs bourgeoises remplacent peu à peu celles des aristocrates, aussi devient-il fondamental que les jeunes filles affichent leur virginité en portant une robe blanche le jour J. Auparavant, les jeunes femmes mettaient pour l’occasion leur plus belle robe, et le blanc était en fait la couleur du deuil jusqu’au XVIIe siècle. La Reine Victoria contribuera à la popularité de la robe immaculée lors de son mariage avec Albert en 1840. Il semblerait que la robe crème de Lady Diana pour ses noces avec le Prince Charles ait choqué, étant considérée à l’époque comme un désaveu de chasteté. 1981, vous dites ?
Mariage de Diana Spencer avec le Prince de Galles
La blancheur comme enjeu social
Il est d’ailleurs plutôt intéressant qu’au XXIe siècle la tradition de la robe de mariée blanche perdure en dépit de l’évolution des mœurs et à l’ère de Tinder.
Collier draperie or blanc et diamants
La blancheur fut longtemps un enjeu social important. Michel Pastoureau (encore !) s’interroge sur l’ambition humaine de se croire pur et innocent. L’homme « blanc » n’est pas plus blanc que ne le sont le vin ou le sable éponymes, mais il semblerait qu’ici le symbole flatte son narcissisme. On constate vite les dérives d'une pensée suprémaciste blanche à travers le Ku Klux Klan ou la race aryenne d’Hitler notamment, mais on semble avoir du mal à tordre le cou à un autre idéal encore de nos jours : celui du modèle féminin à la peau blanche et aux cheveux blonds. Selon le canon esthétique de la Renaissance, la dame doit posséder trois choses blanches : les dents, la peau et les mains. On ne vous apprend rien en évoquant l’utilisation des fards blancs sous l’Ancien Régime. Il convenait alors de se distinguer des travailleurs voués à exposer leur peau au soleil.
Broche pendentif camée agate, perles et diamants
La mode du bronzage est intéressante à ce titre : à partir des Années Folles se mettent en place de nouvelles valeurs appelées à devenir celles du XXe siècle autour notamment de la jeunesse et de la santé par le sport. Premiers maillots de bain échancrés, premières vacances à la mer ; le film Tarzan avec Johnny Weissmüller en 1932 ou encore le bikini en 1946 contribueront entre autres à la mise en place du culte du corps sain et bronzé. La tendance semble s’inverser ces dernières années avec une tentative de déconstruction des archétypes physiques ainsi qu’un abandon du bronzage devenu phénomène de masse, sans parler évidemment de la menace de cancer inhérente à ce dernier.
On retrouve cette volonté de retour au naturel au début du XIXe siècle. Après le rococo apparaît une reviviscence de l’Antiquité très bien incarné par les robes empire. On en a un exemple ci-dessous avec un portrait de Juliette Récamier conservé au Louvre.
Jean-Baptiste Jacques Augustin, Portrait de Juliette Récamier (1777-1849), Date inconnue, Paris, Musée du Louvre.
Non seulement il ne fallait pas craindre la pneumonie, mais il s’agit d’un clacissisme fantasmé puisqu’on sait aujourd’hui que les statues antiques et temples qui nous sont parvenus blancs étaient à l’époque colorés. Il y a aussi une histoire de rang social dans tout cela : on peut se permettre d’être vêtus de blanc quand on ne risque pas de se salir dans les besognes du quotidien – Coucou les Soirées blanches d’Eddy Barclay. Certes, les acteurs des métiers de bouche portent très souvent des blouses blanches, mais cela a davantage à voir avec la dimension hygiénique du blanc.
Bijoux blancs et blancs bijoux
Bague fleur vintage or blanc, perle et diamants
On a parlé des perles plus haut, mais quid des autres matières blanches, blanc teinté ou incolores en bijouterie ? On peut citer entre autres : l’agate, la nacre, le cristal de roche, le diamant, le gypse, l’ivoire, l’os, l’opale laiteuse, la calcédoine, le verre, la pierre de lune, le girasol (une variété de quartz blanc) ou encore la sépiolite ou écume de mer. On pense aussi au platine, à l’or blanc et à l’argent parmi les métaux précieux.
Maintenant, vous comprenez pourquoi « Juste Leblanc » du film Le dîner de cons ne pouvait pas s’appeler Lenoir ? Désormais, le prochain qui essaiera de vous prendre pour une oie blanche en prétendant que le blanc n’est pas une couleur risque de faire… chou blanc !